Fabrice Jordan

Le pouvoir dans la vie spirituelle

La question du pouvoir est particulièrement brûlante dans la vie spirituelle, parce que les instructeurs, les enseignants, touchent à la part la plus vulnérable et la plus précieuse de notre âme, notre trésor intime, le sens du sacré.

Ceux qui incarnent le sacré, comme les prêtres, maîtres, gourous, confesseurs et autres, ont une tâche infiniment précieuse, bien délicate et bien lourde à porter.

Lorsque nous leur faisons confiance pour nous guider vers l’essentiel, nous leur attribuons le plus souvent, sous l’effet d’une idéalisation, une perfection et un avancement sur la voie du sacré qui nous poussent à attendre d’eux la vérité absolue, la vision intégrale et une connaissance sans faille, y compris de nous-mêmes.

Nous acceptons de renoncer (momentanément) à notre toute- puissance, à condition de la voir attribuée à quelqu’un d’autre (par projection) qui va décider en toute perfection à notre place. Si nous percevons cet autre comme un Père Éternel, omniscient et omnipotent, qui ne serait qu’Amour, nous pensons alors qu’en lui obéissant aveuglément nous allons atteindre le paradis. Nous lui laissons toute la responsabilité et tous les pouvoirs, croyant par-là faire preuve du plus beau des lâcher-prises, alors qu’en fait, nous nous conduisons comme des gamins immatures et dépendants.

Piège pour nous, les apprentis, et piège pour lui (ou elle), notre instructeur. Nous y abandonnons à bon compte notre propre responsabilité de sujet, mais nous serons prêts à jeter le maître aux orties s’il ne répond pas à notre attente.

Une dévotion apparemment totale et admirable cache souvent une âme de tout petit enfant qui ne veut pas grandir, ni affronter les difficultés du doute, de l’ignorance, de l’erreur, de l’humaine condition.

Si l’instructeur se laisse prendre à ce jeu et se sent dans l’obligation de la perfection pure et, pire encore, s’il croit y être parvenu, le danger est grand, le risque de se fourvoyer augmente.

La maturité psychique est fondamentale pour un instructeur… ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Dans certains milieux «spirituels››, on croit qu’avoir vécu des expériences mystiques, des moments d’éveil ou d’extase, suffit à rendre compétent et apte à enseigner, en se dispensant d’un véritable travail de transformation, assorti d’une très sérieuse formation à l’accompagnement.

Comme si qualification spirituelle dispensait de qualification humaine. Cette croyance mélangée de toute-puissance infantile, qui est fort répandue dans les milieux New Age, met chacun en grand risque d`abus ou d’abandon de pouvoir, laissant les adeptes démunis et/ou brisés. Elle contribue à la méfiance collective envers les sectes et au refus de la vie spirituelle, alors rangée dans la catégorie « histoires à dormir debout ».

Beaucoup, blessés dans leur âme ou dans leur affection pour des proches qui ont été abusés, à ce moment-là, « jettent le bébé avec l’eau du bain » et refusent en bloc toute démarche spirituelle, considérée comme une escroquerie, un mensonge, un opium pour le peuple.

Si, comme le dit André Malraux « Le XXl° siècle sera spirituel ou ne sera pas », il faudra que le spirituel se rende digne de sa tâche, et notamment sur le plan de l’exercice juste du pouvoir.

Si la fonction du spirituel dans notre collectif est de permettre de retrouver des valeurs et un sens à notre existence, afin d’œuvrer à l’unification du monde, dans le respect des êtres et des cultures différentes, sa tâche est immense et difficile.

Elle demande une grande compétence, avec une humilité simple, venue d’une plus grande conscience, d’une véritable intelligence de l’enjeu, plutôt que d’une vertu gnangnan, obligatoire, issue d’une morale surannée. En aucun cas, le spirituel ne peut se dispenser, au nom de la confiance en Dieu ou en la Vie, de lutter contre l’inconscience ou l’ignorance. Nul n’est dispensé de vigilance.

Et notamment, un instructeur digne de ce nom ne peut se passer de la connaissance des ressorts cachés dans la profondeur de la psyché, des mouvements souterrains qui œuvrent à notre insu dans l’exercice du pouvoir.

Un véritable enseignant spirituel sait qu’il est au service de quelque chose qui le dépasse. Il est d`abord un serviteur, il aura des comptes à rendre pour l’exercice des pouvoirs qu’il a reçus. S’il se situe dans une lignée, cela lui sera plus facile, car son entourage dispose de références solides qui peuvent, le cas échéant, l`aider à voir plus clair. Mais s’il est seul et autoproclamé, il est bien seul, en effet, avec son ombre.

Parmi les dangers qu’il m’a été permis de voir se manifester et de comprendre, il y avait souvent, pour l’enseignant, celui de croire que le chemin parcouru lui avait permis d’accéder à un niveau totalement différent de celui où vivent la plupart des humains ordinaires, chemin qui lui permettrait de se situer à un niveau subtil, où les lois qui prévalent dans la psyché ordinaire ne sont plus valables… Ces êtres hors du commun croient qu’ils n’ont plus d’ombre et qu`ils sont dans la parfaite lumière.

Vie Quotidienne du pouvoir – Lily Jattiot, Editions Accarias L’originel, 2017

Merci à Marie Laure Léon pour le partage du texte

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