Fabrice Jordan

Esprit originel, es-tu là? mais qui suis-je ?

Le taoïsme a depuis très longtemps pressenti que le réel existe sous deux formes distinctes. 

Il a nommé ces deux formes « Le Ciel Antérieur » et « Le Ciel Postérieur ».

Le Ciel antérieur représente tout ce qui n’est pas encore existant, mais est pourtant réel en tant que potentiel. Dans le Ciel antérieur, tous les possibles sont encore superposés mais il leur manque l’énergie permettant de choisir l’un de ces possibles pour le mettre en mouvement et le faire émerger du néant. Cette énergie est appelée Qi par les chinois. Une fois ce « possible » émergé, il devient alors existant et passe dans le Ciel Postérieur.

Ce second état, le Ciel Postérieur, représente donc tout ce qui est « réel » au sens usuel du terme. Pas seulement ce qui est visible ou matériel, mais tout ce qui advient et peut être soumis au grand jeu de la dualité, du Yin et du Yang, et de la temporalité. Dans ce grand jeu, les choses ont un début, une croissance, une acmé puis une décroissance avant de subir la loi de la transformation. Pour cette raison, une émotion ou une pensée, même non matérielles, font quand même partie du Ciel Postérieur.

Dès lors, qu’en est-il de nous ? En tant qu’humains et en tant qu’esprits, nous avons bien dû émerger d’un champ des possibles pour devenir un choix précis, une forme particulière avec toutes ses caractéristiques. Autrement dit, nous aussi avons baigné d’abord dans le Ciel Antérieur pour apparaître dans le Ciel Postérieur, où notre forme est soumise au jeu de la dualité et de la temporalité, comme nous l’apprenons parfois douloureusement le matin.

La question est de savoir si une forme sortie du champ des possibles pour s’exprimer dans le Ciel Postérieur garde en même temps une présence dans le Ciel Antérieur. A cette question, le taoïsme répond oui. En tant qu’être humains, nous existons donc en réalité sur deux plans simultanément. Dans le Ciel Antérieur, se trouve notre Yuan Shen, notre Esprit Originel, notre nature intime. On pourrait dire que c’est dans ce plan et dans cet Esprit originel que se situe notre « mission de vie », c’est-à-dire nos dispositions les plus personnelles et originales : notre amour pour la musique, ou plutôt pour le dessin, nos dons divers, etc…

Simultanément, nous faisons aussi l’expérience de notre conscience dans le Ciel Postérieur, de notre caractère, de notre esprit. Appelons cette conscience du Ciel Postérieur, notre « Cœur ». En fait, notre Cœur essaie tant bien que mal de capter le message de notre Yuan Shen, notre Esprit originel, pour le manifester concrètement dans nos 4 dimensions de la réalité.

Le problème, qui est universel et nous concerne donc tous, c’est que le Yuan Shen, qui contient nos attributs les plus spécifiques et donc notre mission de vie peut avoir du mal à délivrer son message à notre Cœur, pour différentes raisons.

D’abord, ce message doit passer d’un plan de réalité subtil à un plan de réalité plus grossier, nos 4 dimensions habituelles. Mais supposons, comme le fait la physique moderne, que le réel ait par exemple 10 dimensions. Cela signifie que le Yuan Shen, qui se situe dans la 10ème dimension, doit délivrer son message en traversant au moins 6 dimensions du réel avant de parvenir à notre Cœur. Or, dans chacune de ces dimensions, celui-ci peut rencontrer des informations ou champs perturbateurs qui diminuent son intensité ou même qui en modifient l’information.

Cela peut ressembler un peu à ce fameux jeu de bouche à oreille, où l’on délivre un message du type « le train bleu de ma grand-mère partira à 23h30 » à la première personne qui doit le répéter à une autre personne, qui elle-même devra le délivrer à une autre, etc…Au bout d’un certain nombre de transmissions, on arrive à la 10ème personne qui entend « la voiture verte de mon grand-père est partie avant midi ». Vous voyez le problème ?

Prenons un exemple plus réel, mais qui reste grossier. Admettons que le Yuan Shen délivre un message du type : « pour être heureux, tu devras être musicien». Oui mais voilà, cette âme naît dans une famille qui représente une dynastie d’avocats. Alors que le ou la petite humaine voudra faire de la musique son métier à l’adolescence, les injonctions du milieu familial vont lui transmettre : la musique n’est pas un travail sérieux, choisis plutôt le métier d’avocat.

A moins d’un solide caractère, lui aussi hérité, il est fort probable que l’adolescent finira avocat. Profession relativement prestigieuse, reconnue par la société, mais dans laquelle il ou elle dépérira. Voilà un exemple type d’un message du Yuan Shen parasité par la dimension psychologique transgénérationnelle.

Notons à ce propos que tout choc émotionnel, en produisant de l’énergie et du Feu, selon le regard du taoïsme, est à même d’ouvrir momentanément un canal au travers des dimensions subtiles du réel pour aller impacter le Yuan Shen et parasiter son message, un peu comme si une coque se constituait autour de lui.

Dès lors, le travail principal d’un pratiquant spirituel va être de retrouver le juste message de son Yuan Shen, bien avant de vouloir transcender le tout pour aller vers un hypothétique éveil, que la plupart des gens sont bien à mal de définir de toute façon.

Quels outils avons-nous à disposition ? Le premier, c’est l’introspection et l’écoute, qui permet déjà de prendre conscience du paysage de notre Cœur et éventuellement d’évaluer, sur une base intuitive, la distance qui nous sépare de ce que nous pressentons être notre vraie nature. Parfois, une psycho-analyse peut être utile à ce stade. Le deuxième, c’est le regard externe de frère ou sœurs de pratiques, d’un conjoint, d’un maître ou enseignant. Et le troisième, c’est l’ensemble de nos emmerdes de vie, et surtout les plus répétitives.

Une fois le constat fait, cependant, nous avons besoin d’outils pour pouvoir espérer lever les obstacles qui se trouvent dans les dimensions intermédiaires entre notre Cœur et notre Yuan Shen et restaurer l’intégrité du Yuan Shen dans la dimension où il se trouve. C’est à ce moment que nous avons besoin d’une certaine puissance énergétique.

Tout comme les scientifiques ont besoin du LHC pour accélérer les particules et atteindre le plan quantique, nous avons besoin d’avoir notre propre LHC intérieur. Dans les traditions, cette puissance est souvent atteinte au travers de rituels exercés et incorporés. Dans le taoïsme, par exemple, nous utilisons des marches sacrées, des sons, des incantations, des mudras ou des ondes de formes (talismans/Fu). Ces rituels sont réalisés avec une intention précise et parfois presque chirurgicale, qui contraste avec l’attention d’écoute ouverte de la méditation par exemple.

Au fond, toute voie spirituelle comporte trois étapes fondamentales : 

  1. le constat du décalage entre notre Cœur et notre Yuan Shen, 
  2. un cleaning ou purification des éléments perturbants le message du Yuan Shen à notre Cœur, 
  3. une restauration complète de notre Yuan Shen, le plus souvent grâce à l’aide d’une énergie « divine » ou en tout cas assez subtile pour atteindre le plan du Yuan Shen, c’est-à-dire le Ciel Antérieur, ou, pour reprendre des termes modernes, le plan quantique.

Je nous souhaite à tous de pouvoir parcourir ces différentes étapes avec curiosité, courage et surtout, humour, l’enzyme le plus important du processus.

Article paru dans la Revue des Editions Recto-Verseau en septembre 2019

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